LA REGULARITE

A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers

 

 

Le sujet que je vous propose d’aborder ce soir est très controversé puisqu’il s’agit du principal facteur de division préjudiciable à notre Ordre, j’ai nommé « la régularité ». Ce simple mot éveille en moi des années de souffrance morale et de révolte, au point qu’il m’a fallu travailler longtemps sur moi-même pour en extirper l’essence positive. Il est à l’origine de tous mes doutes, et aujourd’hui encore, après tout ce temps passé sur nos colonnes, après avoir rempli tous les offices et devoirs de charge, je ne me suis toujours pas résigné à tout accepter de cet Ordre dont je ne respecte que l’esprit. Suis-je pour autant un mauvais Maçon ?

 

Pendant 18 ans on a voulu me faire croire qu’être soumis à la Grande Loge d’Angleterre et nommer Dieu Grand Architecte de l’Univers faisait de moi un maçon véritable. On m’a appris à déconsidérer tout prétendu maçon qui s’écarterait du respect d’une règle en 12 points qui, après mûres réflexions, s’est avéré n’être qu’un règlement. On a cherché à me convaincre que les femmes ne pouvaient partager nos travaux sous le prétexte futile qu’elles n’apportent que conflits de personnes. Un maçon libre doit-il toujours admettre sans comprendre ? Un maçon libre peut-il aujourd’hui rester Maçon ?

 

A la question « êtes vous Franc-maçon » on m’a appris à répondre : « mes Sœurs et mes Frères me reconnaissent pour tel ». Les mots, les signes et les attouchements devraient suffire à cette reconnaissance puisqu’ils sont tirés de nos rituels communs, et réputés secrets. Cependant si les maçons se satisfont des réponses apportées par ce succinct tuilage, il en va tout autrement pour les administrations obédientielles qui les représentent. Car si légitimement, 7 Sœurs ou Frères régulièrement initiés et élevés au grade de Maître peuvent créer une Loge juste et parfaite ; si 3 ateliers peuvent créer une Grande Loge régulière et donc former une obédience, celle-ci sera toujours considérée comme irrégulière, tant que d’autres Grandes Loges, plus anciennes, ne l’auront pas reconnue pour telle. Cette hiérarchie constitutionnelle est certainement nécessaire pour garantir l’ordre maçonnique contre toute dérive sectaire, et pour chaque Grande Loge qui se considère légitime et régulière, cette reconnaissance est la condition nécessaire à sa survie. Si les Grandes Loges définissent leur identité par certains critères qui leurs sont propres, elles se doivent cependant d’adopter un schéma directeur compatible avec celui des autres administrations maçonniques. C’est la fonction fédératrice que tiennent nos rituels, d’où la nécessité de ne pas les altérer. Malheureusement, certaines Grandes Loges, et non des moindres, font du protectorat une affaire personnelle en s’excommuniant les unes les autres, où en se liguant pour écarter les impudents qui oseraient revendiquer le droit d’exister indépendamment de leur juridiction. Ainsi, avant de devenir la plus grande Obédience Française, le Grand Orient qui, en 1877, refusa l’allégeance à la Grande Loge d’Angleterre en proposant le choix de la laïcité, fut considéré, et l’est encore aujourd’hui, comme irrégulier par la maçonnerie mondiale. Pour des raisons différentes, le Droit Humain a lui aussi souffert de ce même ostracisme avant de se soumettre à lui pour s’en faire reconnaître !

 

On nous parle de maçonnerie « progressiste », attachée aux anciens principes généraux de l’Ordre, opposée à une maçonnerie « libérale », ayant un point de vue plus social sur ces mêmes principes. Cependant, même si ces deux points de vue amènent à des controverses parfois assez vives, les tendances qui s’expriment ne font jamais oublier aux uns et aux autres que ce qui les réunit — c’est à dire la fraternité — est plus important que ce qui les sépare.

 

A mon sens, la franc-maçonnerie n’est et ne peut pas n’être qu’obédientielle. Sa légitimité est accordée à qui reçoit et transmet ses principes, ses valeurs, et respecte ses rituels. Je veux croire que la régularité n’est pas qu’appartenir à une administration puissante et organisée dont les dirigeants, comme nos élus politiques, se prétendent parfois les portes paroles. Personnellement, je ne souhaite pas être un maçon séculier travaillant au progrès de l’humanité, et c’est pourquoi je ne m’engage pas à réfléchir sur les questions sociales et parfois trompeusement maçonniques proposées par nos obédiences. Ce n’est pas que je m’en désintéresse pour autant, mais si je dois m’engager socialement ou politiquement, je préfère être plus opératif en adhérant à des mouvements plus spécialisés que la maçonnerie. Je suis ce que l’on pourrait définir comme un « maçon régulier », c’est à dire attaché aux valeurs d’une règle spirituelle et initiatique. Si pour moi, la maçonnerie n’est pas une religion, elle se doit d’être la tolérance religieuse, c'est-à-dire qu’elle doit avoir pour toutes les religions une sympathie générale, et pour chacune le respect que lui impose l'élément de vérité qu'elle renferme. Pour être contre quelque chose, il faut en avoir plus qu’une intuitive connaissance, et surtout ne pas confondre le symbole avec l’une de ses interprétations plus ou moins corrompue. Je prendrais pour exemple la Bible ou tout autre livre réputé sacré, généralement posé sur l’autel des serments de nos Loges, sous le compas et l’équerre au degré d’apprenti. Bien qu’emblématiques d’une révélation religieuse, elle symbolise tout autre chose pour les maçons. L’Ancien Testament pourrait représenter la vie pré-initiatique et profane, l’histoire sombre de l’humanité avec ses passions et ses erreurs. Puis vient la révélation, c’est à dire l’initiation à une autre perception de l’existence par un message, un vécu ou une expérience. Le Nouveau Testament pourrait lui-même symboliquement représenter la vie post-initiatique du maçon, ses doutes, ses interrogations, la diversité de ses enseignements. L’ouverture sur le prologue de Saint Jean symboliserait la lumière, c’est à dire l’illumination par une certaine connaissance acquise au contact de cette « parole » qui élève l’âme et enrichit l’esprit. Les maçons quelque peu hérétiques du moyen âge voyaient en la Bible tout autre chose que la religion officielle de leur pays, mais ils se devaient d’en respecter la forme et d’en symboliser l’esprit. C’est pourquoi la présence d’un livre blanc cachant les règlements généraux sur l’autel des serments de notre Loge me gène considérablement. Est-ce au nom de la liberté de conscience que nous pervertissons ce spirituel héritage qui nous a été confié, ou pour satisfaire au plus grand nombre et faire de notre Ordre un outil de pouvoir ? Détail significatif par excellence, la présence des règlements généraux de l’Ordre sur l’autel des serments, alors qu’ils ne devraient se trouver que sur le plateau de l’Orateur.

 

En résumé, la régularité ne dépend malheureusement plus du suivi de la règle édictée par les Landmarks et anciens devoirs des compagnons bâtisseurs, mais d’une politique plus pragmatique dérivant sensiblement de son objet. Trop idéaliste peut être, je me suis toujours attaché à ne voir que ce pourquoi j’étais entré en maçonnerie. Et si j’ai pu avoir la faiblesse d’accepter certains artifices du pouvoir, ceux-ci ne m’ont encore jamais corrompu. Parfois déçu par les hommes qui ont accompagné ma quête, jamais je ne l’ai été par l’idéal qui m’a été proposé lors de mon initiation. Mais la régularité d’aujourd’hui, n’est plus celle d’autrefois, j’en ai bien peur ! ! ! ! !


J’ai dit ! ! ! ! ! !

Créez votre propre site internet avec Webador