Réflexion sur la tradition maçonnique

Planche tracée de Robert MINGAM

 

 

Dans tous les milieux, dans toutes les sociétés constituées à vocation, ou à prétention initiatique, se pose inévitablement, quoique avec plus ou moins d'acuité, le problème d'une filiation historique, et celui de l'authenticité de cette filiation.

 

En effet la vocation initiatique suppose par nature la détention d'un savoir, ou plutôt sans doute la détention des clés de l'acquisition d'un savoir, par un nombre plus ou moins limité d'adeptes ( connaissances de nature ésotérique) sur le " macrocosme--univers " et sur le "microcosme-humain ", connaissances " révélées ", règles de vie, conduites rituelles, etc... Et surtout, les étapes, les cérémonies précisément " initiatiques " en usage dans ces groupes, ont pour objet la transmission de ce savoir, ou des clés de ce savoir, à un petit nombre d'individus sélectionnés, et selon des règles très strictes, invariables au cours du temps.

 

Le contenu de ce savoir et l'histoire de sa filiation constituent ce que toute société initiatique nomme la TRADITION.

 

La tradition, précise le dictionnaire, est un lien du présent avec le passé. Elle représente la transmission orale, de génération en génération, de faits légendaires plus ou moins authentiques, d'usages, de coutumes et d'opinions se perpétuant d'âge en âge.

 

La tradition n'est ni un système, ni une doctrine. Elle est le fil d'Ariane permettant aux vérités de se véhiculer jusqu'à nous; elle nous transmet le message d'un très lointain passé, celui de nos origines.

 

Si la tradition a pour vocation de transmettre, elle transmet quoi? à qui?, pourquoi et pour qui ?

L'homme avant d'aborder les grandes lois cosmiques entend tout d'abord prendre connaissance de lui-même, de sa nature profonde et intime, de sa conscience. Il découvre ainsi l'origine de sa pensée, le sens du sacré. Si nous avons oublié l'unité créatrice, le temps primordial, sans doute nos cellules nous incitent à rechercher avec nostalgie ces lois du monde que nous voulons interpréter selon le langage de notre époque. L'homme ne doit plus se laisser duper par l'illusion. Il vient vers un absolu car la Tradition possède en elle la vérité; elle est présence constante et éternel mouvement; elle est origine et devenir, principe ultime et perfection finale.

 

René GUENON dans le règne de la quantité et les signes du Temps précise:  " Il n'y a et il ne peut y avoir de véritablement traditionnel que ce qui implique un élément d'ordre supra-humain; c'est là en effet un point essentiel, celui qui constitue en quelque sorte la définition même de la Tradition et de tout ce qui s'y rattache ". Dans " la crise du monde Moderne " cet auteur ajoute que " dans la confusion mentale qui caractérise notre époque on est arrivé à appliquer indistinctement ce mot de Tradition à toutes sortes de choses, souvent fort insignifiantes, comme de simples coutumes sans aucune portée et parfois d'origine toute récente ". Il y a des traditions, familiales ou ethniques, coutumières ou religieuses. Il y a des traditions cosmogoniques ou cosmologiques, des traditions tribales ou universalistes. Ancrée dans la mémoire génétique humaine ou produit de l'hérédité, certaines se prétendent initiatiques, d'autres universitaires. Mais qu'elles s'expriment hermétiquement, symboliquement, ou au travers du langage courant, les traditions sont toujours le sous produit de LA TRADITION PRIMORDIALE, de laquelle découle toutes les autres. Chaque peuple s'y référencie, avec le mode d'expression qui lui est propre. Elle est une et indivisible, mais comme le symbole qui la véhicule, ses interprétations sont multiples.

 

La tradition n'est pas un ensemble de coutumes populaires, de mœurs curieuses et plus ou moins folkloriques. La tradition est la transmission d'un ensemble de connaissances et de moyens consacrés concernant l'origine même des choses et des êtres, connaissances et moyens qui facilitent la prise de conscience de principes immanents d'ordre universel.

On assigne l'origine de cette connaissance et de ces moyens à l'apparition de l'homme sur la terre. Pour les uns, cet enseignement est dispensé directement par la divinité aux hommes par le truchement d'hommes éclairés, de prophètes pour les hébreux, de demi-dieux pour les grecs, de dieux pour les égyptiens, de rishis pour les hindous missionnés. Pour d'autres l'enseignement proviendrait d'un apport de planètes extra-terrestres au moment où la vie humanisée est apparue sur la notre. Dans un cas comme dans l'autre la tradition remonte à la nuit des temps. Il y a donc eu à un moment donné un état de sagesse originelle et cet état peut être représenté par le concept du centre primordial, dont le paradis terrestre de la tradition hébraïque constitue un des symboles, étant bien entendu que cet état originel, la tradition et ce centre symbolique ne sont que trois expressions d'une même réalité.

 

Transmise par l'écriture ou symbolisée dans la pierre par les civilisations antérieures avancées, d'expression orales chez les autres, culturelle ou cultuelle, La Tradition parle du mystère de la création et de la vie, partout où l'homme s'est établi et à vécu.

 

La tradition n'est pas née de l'histoire. Elle a traversé l'histoire en se chargeant au passage des différents courants de pensée, politiques et Religieux dont elle a épousé les formulations pour se rendre intelligible à tous.

 

Les traditions folkloriques rappellent les règles sociales imposées par des circonstances ou librement consenties par les populations passées. S'inscrivant dans la mémoire collective elles marquent une époque de l'histoire, et transmettent leurs enseignements au travers de Rites élémentaires ou composés. Ainsi les chants et les danses d'autrefois, les liturgies religieuses, ou les cérémonies à caractère initiatiques sont des expressions rituelles de traditions dont on a parfois oublié le fondement véritable.

 

Le Rite est donc l'outil séculier de la tradition. Il a une autre dimension que le rappel de faits historiques. Son domaine est généralement d'ordre spirituel et métaphysique. Le Rite est aussi porteur d'une morale.

 

La Tradition, fruit de la connaissance humaine ne serait qu'instinct si le langage n'existait pas. Les traditions qui découlent du degré de compréhension et de l'expression culturelle des peuples qui compose l'humanité ne sont que des interprétations ludiques de celle qui régie l'univers.

 

Le retour à la tradition a nécessité une remontée dans le temps par l'étude des textes les plus archaïques, tels que les Vedas (connaissances divines en sanskrit ), l'écriture sacrée de l'Inde révélée par les Aryens aux peuples autochtones, le livre des morts égyptien, l'ancien testament ( Torah, lois, genèse, exode ) etc etc., en sachant pourtant que la tradition n'avait été que partiellement transcrite.

 

il n'existe plus en occident d'école réellement traditionnelle, c'est-à-dire reliée à la tradition primordiale, mis à part la maçonnerie et le compagnonnage. Pourtant il apparait que seule l'adhésion à un mouvement traditionnel, ayant une transmission valable, permet de se rattacher à un mouvement initiatique.

 

La tradition Maçonnique ne se différencie pas fondamentalement des autres traditions. Son originalité réside dans l'utilisation conjuguée de symboles allégoriques, propres aux bâtisseurs d'édifices sacrés, comme mode d'expression. Parmi tous les symboles que la Franc-maçonnerie met en œuvre et que l'on rencontre dans les trois premiers degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté, aucun ne lui appartient en propre, tous font partie du fond commun de l'humanité. Ce qui lui appartient en propre c'est la manière particulière de les combiner entre eux.

 

Il ne s'agît pas en maçonnerie de donner des explications sur le sens ou l'utilisation du compas, de la règle, du ciseau ou du fil à plomb dont parle le rituel. Il convient de s'identifier à l'allégorie de ces symboles, il s'agit de marquer d'une manière énergique que le maçon ne sera pas digne de ce nom s'il ne fait pas application à lui-même de ces instruments de travail, s'il ne développe pas ses facultés par un labeur continu, s'il ne s'efforce pas de se corriger de ses défauts, s'il n'emploie pas toutes ses forces à acquérir les qualités qui lui manquent, conscient de la méthode de travail et du but à atteindre.

En dehors de l'étude des textes sacrés archaïques, il est possible de remonter à la tradition primordiale en étudiant les religions, la mythologie, les légendes, le folklore et l'archéologie étant entendu cependant que ces connaissances sont fragmentaires et souvent corrompues.

 

La connaissance s’acquiert par huit sciences qui sont la base du savoir humain. La théologie qui est La science de dieu, la biologie qui est la science de la vie, la mythologie qui est la science des mythes, La cosmologie qui est la science de l'univers, l'astronomie et l'astrologie qui sont les sciences des astres, la géologie qui est la science de la terre, la physique qui est la science de la nature et enfin l'anthropologie qui est la science de l'homme.

 

Chacune de ces sciences peuvent être étudiées sous quatre aspects différents. L'origine, la croissance, La loi et la sagesse. Les trois premiers aspects constituent l'exotérisme. Elles s'acquièrent, s'expriment et se répandent par le discours et par l'écriture. Ces aspects de la science sont enseignés dans toutes les écoles profanes depuis l'antiquité.

 

Quant au quatrième aspect constituant l'ésotérisme s'acquiert, s'exprime et se répand par l'initiation. Dans l'antiquité, il était enseigné dans les sanctuaires sous le sceau du secret. Il était l'objet et le but des mystères. Seul ce quatrième aspect donne la connaissance qui en s'ajoutant à celle des trois premiers, est le couronnement des études conférant la gnose.

 

Cette gnose s'est répandue depuis les temps archaïques jusqu'à nous par une transmission légendaire et mythique invérifiable scientifiquement, quoique !!!! et par une transmission historique, basée sur des écrits et des faits réels. Cependant, comme pour dans la tradition maçonnique, on peut utiliser une sorte de relai. Les confréries de métier existaient déjà bien avant la construction du temple de SALOMON mais aucun écrit ne pouvait en faire foi. La maçonnerie s'est donc référée à l'histoire pour asseoir ses symboles, sachant que sa tradition remontait d'une manière invérifiable mais bien réelle, à la nuit des temps.

 

Les maçons du moyen âge se considéraient comme les collaborateurs de dieu dans la création. Ils rejetaient La notion d'un monde fini et parfait, ou en tout cas imperfectible, pour proclamer celle d'un monde en voie de création continue, susceptible d'évoluer vers un idéal, de par leur volonté, leur réflexion et leur travail. Avoir conscience que le temple est toujours inachevé, qu'on peut et qu'on doit participer en y apportant sa pierre, telle est la tradition véhiculée par la maçonnerie.

 

Aujourd'hui, il y a des loges qui recherchent sincèrement le sens profond des rites et essaient de transmettre l'initiation traditionnelle. Mais une majorité d'ateliers considèrent que les rites ne sont que des survivances du passé dont on voudrait bien se défaire, car on n'y comprend plus ce que l'on fait. Dans ce dernier cas, et peut être par paresse intellectuelle, le fraternel à pris le pas sur l'initiation. Il est du devoir des chefs de l'ordre, c'est-à-dire des hautes instances spirituelles, de s'entourer de Frères capables de comprendre le dépôt qu'ils détiennent entre leurs mains, et d'étendre ces enseignements à toutes personne apte à les recevoir.

 

Quels que soient les moyens compris et utilisés pour transmettre la tradition initiatique en Franc­-maçonnerie ou ailleurs, chacune des sociétés constituant ce monde initiatique se considère pour sa part, et se proclame, quasi le seul représentant authentique de la tradition, telle qu'il la comprend. A l'extrême même, il peut s'agir d'une stricte filiation de personnages, telle la filiation des Papes depuis Pierre en Occident, ou La filiation des patriarches Zen en Orient depuis Bodhidharma.

 

Mais d'autre part, il apparait indéniablement à la réflexion que, l'humanité étant faite d'une grande diversité d'ethnies et de cultures, plus que le contenu formel d'une tradition, c'est l'approfondissement de ce contenu, c'est l'appréhension de l'essentiel qui constitue la vraie filiation initiatique, et ceci justement à travers les différences de cultures dans le temps et dans l'espace. C'est en ce sens, entre beaucoup d'autres, que le principe maçonnique " rassembler ce qui est épars " est un modèle véritable de conduite initiatique.

 

C'est pourquoi, si regrettable que cela soit, il faut bien constater que certaines sociétés en arrivent à une conception purement formelle de l'initiation, et que, s'attachant à la lettre plus qu'à l'esprit, elles aboutissent à ne plus voir dans la tradition qu'une sorte de " Label " dont elles seraient les dépositaires exclusifs.

 

Il s'agit là d'un phénomène courant dans l'évolution des conduites humaines, où la forme en vient à se substituer au fond et l'apparence extérieure au vécu intérieur. " La lettre tue, l'esprit vivifie ", a écrit Saint Augustin.

 

Il serait naturellement extraordinaire que la Franc­-maçonnerie ait pu échapper entièrement à ces travers et s'attacher exclusivement au noyau commun de la tradition, en négligeant les innombrables avatars historiques de sa transmission.

 

Pour clore provisoirement ce travail, je citerais GUENON: " Au point de vue de la tradition, l'être est complètement ce qu'il transmet, il n'existe que par ce qu'il transmet et dans la mesure où il transmet."

 

J'ai dit

 

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